L. Szondi


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Recherches transculturelles

Summary

The Szondi-test is especially adequate for the psychodynamic exploration of non occidental people because it is a non verbal projective technique. From the beginning of his work Szondi has isolated a special state of the Ego which he named "participative". This concept was a creation of the french anthropologist and philosoph Lucien LEVY-BRUHL.Though this author was seriously criticized, his theory contains some truth.

The author of this article makes a complete review of the enquiries with the Szondi-test about non occidental people ( Gabon, Burundi, Congo, Mexican Indians, Tunisian women). All the studies reveal that the so-called "primitive" people are strongly resisting, thanks their "mystical participation", against the occidental influence which is characterized by two main factors: the ideal goal of personal individuation and the requirements of the Superego. This opinion was promoted by Freud in his well known work "Civilization and its discontents". The experimental results obtained with the Szondi-test correlate with the freudian theory about the cultural demands.

 

Jean Mélon. Professeur de Psychologie Clinique. Université de Liège, B33, 4000-Liège, Belgique.

 

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Y a-t-il une « mentalité archaïque ? »

Jean Mélon

Les travaux récents des ethnopsychiatres ont amplement démontré que l#abord psychothérapeutique des immigrés et des sujets étrangers à l#aire de culture occidentale était souvent impossible sauf à rétablir le lien intime que le sujet entretient avec ses croyances, ses coutumes et d#une manière générale, le monde mythique duquel et auquel il participe. « Participation » : cette notion introduite en 1922 par Lucien LEVY-BRUHL dans « La mentalité primitive », n#a rien perdu de sa pertinence ni de son actualité. On sait que LEVY-BRUHL a été violemment critiqué pour avoir qualifié de « prélogique » la manière de penser primitive. Le terme « primitif », qui succédait à celui de « sauvage », a lui-même été banni au profit du qualificatif « archaïque », euphémisme qui ne modifie en rien la question soulevée par LEVY-BRUHL et qui atteste bien plutôt de sa rémanence.

Dès la première édition de son « Traité expérimental des pulsions », en 1947, Léopold SZONDI a nommément invoqué la « participation mystique », au sens que lui a donné LEVY-BRUHL, pour qualifier l#état premier du moi , dit « participatif- projectif » : k 0 p -. « A l#étape suivante, k + p -,  l#enfant s#incorpore littéralement les objets du monde extérieur sur lesquels il a projeté ses besoins pulsionnels. Il introjecte la totalité de l#univers. … Cette relation particulière entre objet et sujet a été appelée par LEVY-BRUHL « participation mystique » ( en français dans le texte). A cette étape le sujet n#est pas encore capable de se séparer nettement de l#objet ; il le croit encore partiellement identique à lui. Pour LEVY-BRUHL également, cette identité partielle entre objet et sujet représente un échelon primaire des rapports entre le moi et l#objet. C#est pourquoi on la trouve surtout chez les primitifs. Toutefois on la rencontre également chez les sujets civilisés ( Kulturmenschen) bien qu#avec une intensité moindre. Il s#agit donc, au stade de participation mystique, d#une unité et d#une fusion a priori entre objet et sujet. Mais cette fusion n#a jamais été consciente. Chez les individus civilisés, cette relation singulière entre objet et sujet se crée le plus souvent entre deux personnes. Nous parlons alors de « transfert » ( Uberträgung). »

Il est remarquable qu#avant toute vérification expérimentale, SZONDI ait postulé l#existence d# une plus grande fréquence des positions du moi « participatif » dans les populations primitives. Les recherches que nous avons entreprises à la suite de SZONDI en apportent la preuve irréfutable. Mais d#autre part, il est non moins remarquable que SZONDI ait par la même occasion souligné une dimension essentielle de la notion de transfert, absolument centrale , comme chacun sait, dans la cure psychanalytique autant que dans les thérapies apparentées à l#hypnose, à savoir que le lien transférentiel restaure ce mode particulier de relation à l#objet qu#on ne saurait mieux désigner qu#en le qualifiant de « participatif ». Il n#y a d#ailleurs là rien de fondamentalement nouveau, bien au contraire, puisque Freud a d#entrée de jeu défini l#inconscient comme « l#infantile en nous », « l#archaIque », « le sauvage » ou encore « la réserve naturelle » qui maintient les pulsions dans leur état originaire, à l#abri des « avancées du refoulement » et du « malaise dans la civilisation » qui sont la conséquence inévitable, pour le meilleur et pour le pire, du processus civilisateur tel que l#Occident l#a mis en œuvre depuis les Temps Modernes.

Les recherches dont nous présentons ici les principaux résultats ont toutes été menées avec le test de Szondi par des étudiants qui y ont consacré leur mémoire de fin d#études. Qu#ils en soient vivement remerciés. Sans leur aide, ce type de recherche aurait été impossible. Le test de Szondi, parce qu#il est non verbal, est particulièrement indiqué pour mener à bien de telles recherches. Elles ne sont pas faciles pour autant, notamment parce que les sujets testés, presque toujours animistes, redoutent d#être « attaqués » par « l#esprit » des photos jugées antipathiques. C#est le même phénomène qui rend compte des résultats habituellement décevants des enquêtes menées avec le test de Rorschach, la quasi totalité des sujets redoutant qu#on essaie par de tels moyens de leur « voler » leurs pensées les plus intimes.

Le branle a été donné en 1982 lorsque Jean Luc BRACKELAIRE, alors étudiant en psychologie à l#Université Catholique de Louvain, a ramené du Mexique 68 tests en provenance de la tribu des Tarahumaras. La majorité des sujets étaient des hommes de toutes les tranches d#âge, de 5 à 80 ans.

Les Tarahumaras sont bien connus des ethnologues pour être restés totalement à l#écart de la culture occidentale, farouchement attachés à leurs traditions. C#est ce qui avait motivé Antonin ARTAUD à passer quelques mois en leur compagnie, en 1936.

Habitant les hauts plateaux désertiques au sud du Rio Grande, dans l#état de Chihuahua, les Tarahumaras n#ont pratiquement pas de contacts avec le reste de la population mexicaine. Quinze jours à dos de mulet sont nécessaires pour atteindre le premier village Tarahumara depuis la plaine. Leur origine est inconnue. Bien que géographiquement proches des Apaches et des Pueblos, ils n#ont pas de relations avec ceux-ci.

Ce qui nous impressionnés lorsque nous avons dépouillé ces 68 profils, c#est leur extraordinaire stéréotypie.

Tous les Tarahumaras ont presque exactement le même profil au test de Szondi, quels que soient leur âge et leur sexe.

Une telle homogénéité ne se rencontre jamais dans la population occidentale.

Cette question de l#homogénéité structurale des soi-disants « primitifs » nous a beaucoup intrigués.

Disons tout de suite que ce n#est pas une découverte inédite. Beaucoup d#anthropologues, dès la fin du 19ème siècle, avaient noté le fait que dans les populations archaïques, les individus ont une seule et même personnalité, à quelques détails près.

Cette constatation a notamment fait l#objet des réflexions d#Emile Durkheim et de Marcel Mauss qui attribuaient le fait à l#absence de division du travail. Cette question a été remise à l#ordre du jour par les ethnopsychiatres contemporains, dont Georges DEVEREUX et Tobie NATHAN.

Quant à la signification psychodynamique de ce profil univoque, c#est une question qui a déjà été traitée par SZONDI lui-même. En effet, le profil des Tarahumaras est tout à fait superposable à celui que SZONDI avait décrit et commenté comme typique de la personnalité des « Naturvolkern », sur la base de 900 tests recueillis dans la savane gabonaise vers 1950 auprès de 136 indigènes de diverses ethnies, de tous les âges et des deux sexes, tous choisis pour n#avoir jamais eu aucun contact avec les Européens.

SZONDI avait été frappé par le fait que ces sujets ne pouvaient être diagnostiqués, aux yeux de la psychiatrie occidentale, que comme schizophrènes paranoïdes ou comme épileptiques, ce qui renvoyait à l#analogie posée par Freud , dans « Totem et tabou », entre le fou, l#enfant et le primitif.

Il n#était évidemment pas question d#élaborer une tentative d#interprétation sur la base de cette analogie tant critiquée à juste titre.

Dans l#ultime chapitre de son dernier livre, publié en 1980, « Die Trieb-Entmischten » (« Les désintriqués pulsionnels »), SZONDI est revenu sur cette question épineuse, signe qu#il lui accordait une importance capitale, d#un point de vue anthropologique mais aussi pour la compréhension du test et de la théorie pulsionnelle qui le sous-tend.

SZONDI note que si on compare les « clivages diagonaux » ( correspondant aux réactions vectorielles + - et - + ) des noirs de la brousse et des Européens de même âge ( il s#agit en fait des habitants de Budapest testés vers 1935), on obtient pour chaque vecteur des fréquences d#orientation exactement opposées.

 

 

 

 

Tabelle 64. Vergleich der %- Häufigkeit der Entmischungen bei 100 gesunden afrikanischen Busch-Negern und 600 unauffälligen Europäern in den Jahren von 20 bis 40.

Trieb-Entmischung :

S

P

Sch

C

- + %

0,1

17

1,3

3,8

Busch-Neger

8/ 4

3 / 3

13 / 7

12 / 11

Europäer (20-30 und 30-40 J.)

S

P

Sch

C

+ - %

35

3,8

19

35

Busch-Neger

16/ 10

27/ 23

4 / 5

13/ 14

Europäer (20-30 und 30-40 J.)

Extrait de Leopold SZONDI, Die Trieb-Entmischten, Hans Huber, Bern, 1980, page 296.

Si bien que, si on radicalise ces données, les profils des noirs et des Européens offrent à voir une opposition en miroir :

 

 

 

Noirs de la brousse :

S

P

Sch

C

+ -

- +

+ -

+ -

Européens :

- +

+ -

- +

- +

 

 

Soyons clair : il s#agit d#un profil moins empirique que théorique, celui que tendrait à produire la culture dominante si elle atteignait ses fins extrémistes, un profil qui est parfois majoritaire mais que l# « humaine nature », conformément au « m h d e n a g a r  » (rien de trop !) de nos ancêtres grecs, tend - heureusement ! - à limiter.

On peut constater que le profil européen est typiquement «  névrotique » ( P + - Sch - + ) et « oedipien » ( C - +), caractérisé par le refoulement et l#inhibition (Sch - +), El commandement surmoïque de culpabilité a priori ( P + - ), l#exigence de progrès individuel (p+) corrélée avec l#impératif « criticiste », empirico-rationnel ( k -) et l#exigence « missionnaire » ou civilisatrice, en tout cas « conquérante » (S - +), le tout compensé par une forte tendance aux régressions prégénitales, anale rétentionniste (d -) et orale dépendante (m+). Défini comme tel, l# « Oedipe », tout conquérant qu#il soit, n#a pas que la signification méliorative que lui accorde traditionnellement la psychanalyse puisqu#il est également ici défini par ses caractéristiques régressives et prégénitales.

Par contraste, le profil « primitif », que nous proposons d#appeler plus simplement « traditionnel », est dominé par un quadruple interdit :

  1. C + - : interdit de régresser, de (se) retourner vers le monde de l#enfance, avec l#obligation concomitante de s#autosuffire (m -) au plan de la subsistance matérielle ;
  2. S + - : interdit du libre choix de l#objet d#amour et soumission passive à l#autorité, ce qui entraîne le plus souvent une frustration intense et une demande d#amour exacerbée ( h+ ! ! ) ;
  3. P - +   : interdit du libre arbitre et respect inconditionnel d#une Loi extériorisée en une multitude de tabous, ce qui empêche l#intériorisation de la Loi et donc la formation du Surmoi - au sens strict du terme - et l#autonomisation de la conscience morale ( absence de P + - ) ;
  4. Sch + - : interdit de développer une identité singulière indépendamment des prescriptions du groupe, obligation au contraire d#adhérer sans réserve aux idéaux identitaires du clan et de ne développer rien d#autre qu#une identité collective en communion participative avec l#esprit des ancêtres qu#il s#agit d#assimiler et quasiment d#incorporer.

Cette dernière exigence, en rapport avec l#identification totémique-cannibalique, explique partiellement que les individus d#un même clan développent une personnalité identique.

De l#ancêtre totémique, on pourrait dire la même chose qu#écrivait Victor HUGO dans le dernier vers de son poème intitulé « La Mère » :

« Chacun en a sa part et tous l#ont tout entière »

Une autre explication plausible de la monopersonnalité serait celle-ci. Si, conformément au credo de base de l#ethnopsychiatrie, culture et psychisme représentent les deux pôles, externe et interne, collectif et individuel, d#un seul et même ensemble structural, on ne doit pas s#étonner que les cultures qui visent à se reproduire conformément à un modèle immuable, produisent des individus psychiquement identiques appelés à reproduire un modèle culturel stable et statique : idéal collectif de l#éternel retour en opposition complète avec le processus de développement historique dans lequel s#inscrit la culture occidentale depuis le début des Temps Modernes avec ses idéaux de progrès infini. L#idéal du progrès, tant individuel que social et culturel, est évidemment absent des cultures traditionnelles, conservatrices et intégristes par essence et pour ainsi dire par définition.

De ce point de vue, il est tout aussi évident que la culture occidentale est, selon l#expression de Luc de HEUSCH, profondément ethnocide.

Cependant ces explications pêchent par la pauvreté du point de vue dynamique.

On ne comprend toujours pas comment les sociétés traditionnelles réussissent à produire un type d#individu uniforme du point de vue de la structure psychopulsionnelle.

Nous avons trouvé chez Tobie NATHAN une théorie psychodynamique de l#identification groupale qui est la moins insatisfaisante que nous connaissions , et qui met cette identité collective en rapport étroit avec les rites initiatiques de passage.

LEVI-STRAUSS, dans la « Pensée sauvage » ( 1958) , avait déjà noté ce fait remarquable que toutes les sociétés archaïques organisent les rites de passage sur le même modèle, partout dans le monde, sans aucune exception.

Le passage de l#enfance à l#âge adulte, puisque c#est de cela qu#il s#agit, se ferait selon Tobie NATHAN à travers la production d#une authentique « névrose d#effroi », l#essentiel du processus consistant à plonger le sujet dans la terreur vis-à-vis des images infantiles, plus particulièrement de l#imago maternelle. Cette terreur pousse l#individu à tourner le dos de manière radicale au monde de l#enfance en même temps qu#il adhère et accède, en un temps record, aux identifications adultes-paternelles prescrites par le groupe. Le tabou de l#inceste et l#angoisse de castration sont inscrits profondément , pour ainsi dire à vif, à même la chair du sujet.

De cette manière, le long et douloureux procès identificatoire qui correspond chez nous à l#adolescence, ce processus est escamoté au bénéfice d#une identification immédiate et définitive aux figures identificatoires promues par la tradition ancestrale.

On s#aperçoit aujourd#hui qu#en dehors de l#aire occidentale, l#adolescence comme phase du développement psychique est réduite à sa plus simple expression, si tant est qu#elle existe.

S#il est vrai, comme le soutient la psychanalyse, que l#adolescence est assimilable à la reviviscence en majeur du conflit oedipien, cela veut dire que les cultures traditionnelles, en empêchant que cette reviviscence fasse long feu et en l#accélérant violemment à travers les rites de passage, tendent à fixer le jeune adulte dans une position voisine de celle de la période de latence qui correspond à un refoulement réussi de la conflictualité oedipienne.

De la même façon que tous les enfants de 8-9 ans se ressemblent psychiquement, au test de Szondi comme au regard de l#observation clinique, tous les membres d#une culture traditionnelle tendent vers un modèle de personnalité unique.

Il est frappant de constater cette similitude qui pour nous relève de l#homologie davantage que de l#analogie : au test de Szondi, le profil moyen du sujet traditionnel est superposable à celui de l#enfant en période de latence :

h + ! ! s - ! ou + ! e - hy - k - p - d + m -

Plus exactement, tout au long de la période de latence, on observe un passage progressif de k+ à k-, hy+ à hy- et p- à p+.

L#analogie freudienne entre l#enfant et le primitif doit donc être rectifiée. C#est seulement la référence à l#âge de latence qui est ici pertinente.

Cette interprétation s#est affermie lentement au fur et à mesure que nous menions de nouvelles recherches empiriques.

En 1992, Brigitte HERMAN s#est rendue au Burundi avec le projet de tester trois échantillons de population différenciés sur base de leur niveau d#acculturation, le moins acculturé étant le plus proche de la tradition, le plus acculturé le plus influencé par l#Occident.

Les résultats ont confirmé ce qu#on savait déjà de la personnalité africaine à partir de la recherche princeps de SZONDI sur les populations gabonaises.

Ils nous ont toutefois surpris dans la mesure où l#avancée de la pensée rationnelle aux dépens de la pensée magique, phénomène connoté dans le test par la prévalence de la réaction k- sur la réaction k+, et qui s#observe électivement comme on pouvait s#y attendre, dans la fraction la plus acculturée de la population, cette percée de la pensée rationaliste s#accompagnait, compensatoirement semble-t-il, d#une accentuation de toutes les réactions de la tétralogie « traditionnelle » : h+ ! ! e- ! p- ! m- !, ce qui ne peut manquer d#évoquer une funeste évolution, voire une involution, dans le sens d#une violence exacerbée : frustration extrême (h+ ! !), intolérance (e - !), projection paranoïde ( p - !) et rupture du contact ( m - !).

En 1994, nous sommes revenus sur le vieux continent avec l#enquête d#Anne POCHET sur les Italiens du Nord.

Puisqu#il semblait de plus en plus évident que le sujet clanique, qu#il soit africain ou amérindien, avait une même organisation de sa « personnalité de base » - pour reprendre la terminologie d#Abram KARDINER - , il était tentant de vérifier que la même différenciation était repérable entre des profils occidentaux issus de populations urbaines et rurales , présumées respectivement « modernes » et « traditionnelles ».

Anne POCHET a comparé une population urbaine, soit cent habitants du centre de la ville de Padoue, avec cent montagnards, tous de vieille souche, habitant les Alpes Vénitiennes, à 100 kilomètres de Padoue.

Les différences qu#on observe entre les deux populations sont beaucoup moins nettes que celles que révèlent les Gabonais, les Burundais et les Tarahumaras, mais elles sont néanmoins significatives sur quelques points.

On ne retrouve pas la stéréotypie classique des sujets «traditionnels ».

La différence la plus significative est celle qui concerne l#impact des idéaux (du moi) rationalistes- individualistes ( connoté par l#occurrence de la position Sch - + ), impact qui n#est pas négligeable à la montagne (14%) mais qui est deux fois plus fort (28%) chez les citadins, ce qui va dans le sens attendu.

Dans la même perspective de recherches, en 1996-97, Lelia DINGUIZLI est retournée au pays de ses racines pour comparer deux populations tunisiennes, cent femmes de Tunis ville et cent femmes nomades du désert sud-tunisien.

Cette fois, en contraste avec la faible différenciation observée dans la population italienne, les différences sont nettement tranchées entre la ville et le désert.

Ces différences vont toutes dans le sens prévisible, les femmes du bled présentant beaucoup plus souvent le trépied « traditionnel » : e- p- m-.

Chez les femmes de Tunis ville, la scolarisation et le mode de vie occidental nourri des idéaux individualistes ont manifestement produit leur fruit, orientant la pensée dans un sens rationaliste dominant ( k- > k+) et structurant la personnalité sur le mode névrotique ( hy - k - p+ m+ ) qui est le plus répandu dans la population occidentale. En bref, les femmes de Tunis ville ressemblent de plus en plus à leurs homologues européennes, autrement dit elles s#occidentalisent rapidement.

On ne relève pas ici, s#agissant des femmes de Tunis ville, le phénomène régressif que nous avons observé dans la population burundaise acculturée et qui signait une grave carence de l#instance surmoïque.

Néanmoins on ne peut s#empêcher de penser qu#un large fossé difficile à combler est en train de se creuser entre une mentalité progressiste rationaliste qui prévaut dans la culture urbaine et la mentalité conservatrice qui se maintient énergiquement dans les campagnes.

Le tableau suivant reproduit les principaux résultats, concernant les fréquences factorielles, de la recherche tunisienne.

 

Lelia DINGUIZLI. Approche szondienne de la femme tunisienne. Mémoire ULG 96.

 

 

Facteur szondien Femmes de Tunis-Ville Femmes du Bled Significativité

 

h+ 76% 66 0,4 ns

h- 4 5 0,9 ns

s+ 19 19 1 ns

s- 34 31 0,9 ns

e+ 24 10 0,07ns

e- 22 42 0,02 s*

hy+ 3 21 0,01 s* *

hy- 69 35 0,002 s* * *

k+ 5 22 0,005 s* * *

k- 54 26 0,001 s* * *

p+ 14 3 0,04 s*

p- 38 54 0,14 ns

d+ 48 67 0,04 s*

d- 8 1 0,12 ns

m+ 42 14 0,001 s* * *

m- 17 52 0,000 s* * *

 

 

Nous terminons en évoquant une dernière recherche, celle plus intensive qu#extensive menée en 1997 par Pascale DISCRY dans une communauté catholique zaïroise de Liège, érigée en paroisse autonome.

Pascale DISCRY s#est immergée dans cette communauté en adoptant la position d#observatrice-participante.

Elle a recueilli les tests de Szondi de 9 sujets zaïrois provisoirement expatriés pour des motifs politiques ou professionnels. Leur niveau d#acculturation est dans tous les cas maximal.

Ce qui frappe dans cet échantillon, c#est que deux sujets seulement continuent de présenter le profil « traditionnel » tel qu#il a été évoqué plus haut et qui reste omniprésent en Afrique.

Chez les sept autres sujets, le processus de « névrotisation-oedipianisation » s#est mis en marche avec, comme nous l#avons observé chez les femmes de Tunis ville, une avancée des positions hy - ( contrôle renforcé des affects ) et k- ( rationalisme), concomitante d#une poussée m+ qui signe le retour de la nostalgie de l#enfance proscrite par la culture traditionnelle.

Cependant les positions e- et surtout p- restent quasi inentamées, ce qui rend compte du fait que les Africains s#accrochent à leur identité de groupe et ne sont pas près de se convertir à l#idéologie progressiste individualiste. C#est pourquoi d#ailleurs nos neuf sujets se sont regroupés en paroisse autonome, dégoûtés qu#ils étaient par l#absence totale d#esprit communautaire qui selon eux caractérise les catholiques liégeois. On ne pouvait pas trouver de meilleure illustration pour souligner la résistance que continuent d#opposer les sujets dits « primitifs » à l#impératif de développement individualisant - pour ne pas dire individualiste - et au type particulier de conscience morale individuelle que véhicule la culture occidentale, et ce aux dépens de la « participation mystique ». On comprend aussi, indirectement, que celui qui a conservé intacte cette faculté de « participer », n#ait nul besoin de recourir à cet ersatz de « participation » en quoi consiste, pour une grande part, ce remède au « malaise dans la civilisation » que Freud a inventé en créant la psychanalyse comme cure.

Résumé

Le test de Szondi convient particulièrement bien à l#exploration des populations non occidentales du fait que c#est une technique projective non verbale. Depuis le début de son œuvre, en 1947, Szondi a décrit un état du moi qu#il a appelé « participatif », terme qu#il a emprunté au philosophe français Lucien LEVY-BRUHL. Bien que la théorie de LEVY-BRUHL ait été violemment rejetée par la plupart des anthropologues, elle conserve et retrouve une part de vérité, notamment depuis que l#eyhnopsychiatrie moderne se consacre à la psychothérapie des sujets étrangers à la culture occidentale. Toutes les enquêtes menées avec le test de Szondi sur des populations autrefois qualifiées de « primitives » et aujourd#hui d# « archaïques », tendent à confirmer l#opinion première de Szondi, à savoir que dans ces populations - Africains du Gabon (1952) et du Burundi (1992), Amérindiens du Mexique ( 1982), femmes du désert tunisien (1997), Congolais catholiques provisoirement résidant en Belgique ( 1997), voire montagnards des Alpes italiennes (1993) - la « participation mystique » décrite par LEVY-BRUHL se maintient avec beaucoup de vivacité et contrebalance l#influence occidentale-européenne marquée comme Freud l#avait bien vu, par deux caractéristiques majeures, l#exigence de développement individuel - l#idéal du moi - et l#intériorisation du rapport à la loi paternelle, autrement dit l# instance du Surmoi.

 

Jean Mélon. Professeur de Psychologie Clinique. Université de Liège, B33, 4000-Liège, Belgique.

c 1996-2000 Leo Berlips, JP Berlips & Jens Berlips, Slavick Shibayev